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était le plus grand de l’armée. Cet éléphant montra en cette occasion une étonnante intelligence, et une sollicitude admirable pour la personne du roi : tant que Porus conserva ses forces, il le défendit avec courage, repoussant et renversant tous les assaillants ; mais, lorsqu’il sentit que Porus, couvert de dards et de blessures, s’affaiblissait peu à peu, alors, dans la crainte qu’il ne tombât, il plia les genoux, se laissa aller doucement à terre, et, avec sa trompe, il lui arracha les dards l’un après l’autre.

Porus fut pris ; et Alexandre lui demanda comment il voulait être traité. « En roi, répondit Porus. — Ne veux-tu rien de plus ? lui dit Alexandre. — Tout est compris dans ce mot, » répliqua Porus. Alexandre ne se borna pas à lui rendre son ancien royaume, sous le titre de satrape : il y ajouta plusieurs autres pays ; il subjugua les peuples libres de ces contrées, qui formaient, dit-on, quinze nations différentes, possédant cinq mille villes considérables avec un nombre infini de villages, et il les mit sous la domination de Porus. Alexandre conquit un autre pays trois fois plus grand, dont il nomma satrape Philippe, un de ses amis. Bucéphale fut percé de coups dans la bataille contre Porus, et mourut peu de temps après, comme on le traitait des blessures qu’il avait reçues. C’est ce que disent la plupart des historiens ; mais, au rapport d’Onésicritus, il mourut de fatigue et de vieillesse ; car il avait trente ans. Alexandre le regretta vivement, comme s’il eût perdu un ami, un compagnon fidèle. Il bâtit en son honneur, sur les bords de l’Hydaspe, une ville qu’il appela Bucéphalie. On dit aussi qu’ayant perdu un chien nommé Péritas, qu’il avait élevé lui-même, et qu’il aimait beaucoup, il fit bâtir une ville qui portait son nom. Sotion[1] dit l’avoir appris de Potamon le Lesbien[2].

  1. Historien qui vivait du temps de Tibère.
  2. Auteur d’une histoire des exploits d’Alexandre dans les Indes, Potamon devait bien connaître tous les faits relatifs à cette fameuse expédition.