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LUCULLUS.

fortifia donc dans le dessein de gagner du temps ; il amassa dans son camp une immense quantité de blé, et attendit, au sein de l’abondance, les occasions que lui fournirait la disette des ennemis.

Cependant Mithridate cherchait à surprendre les Cyzicéniens déjà affaiblis par le combat de Chalcédoine, où ils avaient perdu trois mille hommes et dix vaisseaux. Afin donc de dérober sa marche à Lucullus, il décampe après souper, et fait une telle diligence qu’il arrive devant Cyzique à la pointe du jour, et pose son camp sur la montagne d’Adrastée. Lucullus, averti de son départ, se mit à sa poursuite, et, content de n’avoir pas donné en désordre, pendant la nuit, au milieu des ennemis, il campa près d’une bourgade nommée Thracia, dans un poste situé très à propos sur les chemins par où les ennemis devaient faire passer leurs vivres. Prévoyant donc ce qui devait arriver, il ne crut pas devoir le cacher à ses soldats : dès qu’ils eurent assis et fortifié leur camp, il les assembla, et leur annonça avec complaisance que dans peu de jours il leur livrerait une victoire qui ne coûterait pas une goutte de sang.

Mithridate avait partagé son armée en dix camps, qui investissaient la ville du côté de terre ; et par mer il avait fermé avec ses vaisseaux les deux extrémités du détroit qui sépare la ville de la terre ferme[1]. Bloqués des deux côtés, les Cyzicéniens étaient résolus de tout braver et de s’exposer aux derniers malheurs pour être fidèles aux Romains ; mais ils ignoraient où était Lucullus, et, comme ils ne recevaient aucune nouvelle de lui, leur inquiétude était extrême. Et pourtant ils avaient son camp sous les yeux, et le voyaient de leurs murailles ; mais ils étaient trompés par les soldats de Mithridate, qui leur montraient

  1. Cyzique étant située à la pointe de la péninsule, était regardée comme une île par les anciens.