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de l’or du roi : à la fin, l’animal se trouva si fatigué, qu’il ne pouvait plus se soutenir ; le soldat mit la charge sur son dos. Alexandre, qui le vit plier sous le poids, et prêt à jeter le fardeau, apprenant ce qu’il avait fait : « Mon ami, dit-il, ne te fatigue pas plus qu’il ne faut ; fais seulement en sorte de fournir le reste du chemin, pour porter cet argent chez toi ; car je te le donne. » En général, il savait plus mauvais gré à ceux qui refusaient ses présents, qu’à ceux qui lui en demandaient. Il écrivit à Phocion qu’il ne le regarderait plus comme son ami, s’il continuait à refuser ses bienfaits. Sérapion, un des jeunes gens qui jouaient avec lui à la paume, ne lui demandait jamais rien, et Alexandre ne pensait pas à lui donner. Un jour qu’on jouait, Sérapion jetait toujours la balle aux autres joueurs : « Tu ne me la donnes donc pas, dit le roi ? — Tu ne me la demandes pas, répondit Sérapion. » Alexandre se mit à rire, et lui fit depuis beaucoup de présents. Un certain Protéas, homme plaisant, et qui, à table, divertissait le roi par ses railleries, avait encouru sa colère. Les courtisans sollicitaient son pardon ; et lui-même il le demandait avec larmes. Alexandre dit qu’il lui rendait ses bonnes grâces. « Seigneur, dit alors Protéas, donne-m’en donc d’abord un gage. » Alexandre lui fit donner cinq talents[1].

On peut juger à quel excès il portait sa libéralité envers ses amis et ses gardes, par une lettre qu’Olympias lui écrivit à ce sujet. « J’approuve fort, lui disait-elle, que tu fasses du bien à tes amis : ces libéralités t’honorent ; mais, en faisant de tous tes amis les égaux des rois, tu leur donnes le moyen de se faire une foule de partisans, et tu t’en ôtes à toi-même. » Comme Olympias revenait souvent sur cette idée, il ne communiqua plus ses lettres à personne : une fois seulement, qu’il venait d’en ouvrir

  1. Environ trente mille francs de notre monnaie.