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LUCULLUS.

bataille, les renferma dans leurs murailles, et mit le siège devant la ville. Il se rembarqua en plein jour, et fit voile vers Éléa[1] ; puis, quand la nuit fut avancée, il revint secrètement, et dressa une embuscade près de la ville. Les Mityléniens sortirent en désordre et avec audace, dans l’espoir de piller son camp abandonné : il les laissa approcher, tomba brusquement sur eux, leur fit un grand nombre de prisonniers, tua cinq cents de ceux qui voulurent se défendre, leur prit six mille esclaves et un butin immense.

Lucullus ne fut pour rien dans les maux innombrables et de toute espèce dont Marius et Sylla accablèrent en ce temps l’Italie ; ce qu’il dut à une faveur particulière de la fortune, qui fit traîner en longueur les affaires d’Asie. Malgré son absence, il ne conserva pas moins de crédit auprès de Sylla qu’aucun autre des amis du dictateur. J’ai déjà dit que Sylla lui avait dédié ses Mémoires comme un témoignage de son affection ; il l’institua, en mourant, tuteur de son fils, de préférence à Pompée lui-même : c’est là ce qui paraît avoir été le premier germe des différends et de la jalousie qui éclatèrent entre ces deux hommes, jeunes l’un et l’autre, tous deux également enflammés du désir de la gloire.

Peu de temps après la mort de Sylla, Lucullus obtint le consulat avec Marcus Cotta, vers la cent soixante-seizième Olympiade[2]. Il y eut alors plusieurs propositions de recommencer la guerre contre Mithridate ; et Marcus dit qu’elle n’était pas éteinte, mais seulement assoupie. Aussi Lucullus fut-il vivement affligé de ce que, dans le partage des provinces, le sort lui eût fait échoir la Gaule cisalpine, qui n’offrait aucune matière à de grands exploits : ce qui l’aiguillonnait surtout, c’était

  1. Ville de la côte d’Asie, située vis-à-vis de Mytilène.
  2. Ce fut l’an de Rome 680, soixante-treize ans avant notre ère.