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plus terrible exemple de l’aveuglement et de là fureur dont la nature humaine est capable, quand elle est en proie aux passions. S’ils eussent voulu, contents de leur gloire, commander au sein de la paix, n’auraient-ils pas eu, et par terre et par mer, la plus grande et la meilleure partie de l’univers soumise à leur autorité ? Ou, s’ils voulaient satisfaire cet amour des trophées et des triomphes, et étancher leur soif, n’avaient-ils pas des Parthes et des Germains à combattre ? La Scythie et les Indes n’ouvraient-elles pas un vaste champ à leurs exploits ? N’avaient-ils pas un prétexte honnête de leur déclarer la guerre, en couvrant leur ambition du dessein de civiliser les nations barbares ? Et quelle cavalerie scythe, quels archers parthes, quels trésors indiens eussent pu soutenir l’effort de soixante-dix mille Romains en armes, commandés par César et Pompée, dont ces peuples avaient connu les noms bien avant même d’avoir entendu parler des Romains tant ils avaient, l’un et l’autre, porté loin leurs pas, domptant mille nations sauvages et barbares ! Mais alors ils étaient sur le même champ de bataille, pour combattre l’un contre l’autre, sans être touchés du danger de leur gloire, à laquelle ils sacrifiaient pourtant leur patrie, et qu’ils allaient déshonorer en perdant l’un ou l’autre le titre d’invincible ; car l’alliance qu’ils avaient contractée, les charmes de Julie, et ces noces fameuses, avaient été plutôt des otages trompeurs et suspects d’une société tout intéressée, que des liens d’amitié véritable.

Dès que la plaine de Pharsale fut couverte d’hommes, de chevaux et d’armes, et que des deux côtés on eut donné le signal du combat, le premier qui s’élança de l’armée de César fut Caïus Crassianus[1], qui commandait une compagnie de cent vingt hommes, et qui se mon-

  1. César le nomme Crastinus, et Appien Carsinus.