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si enflé, si ravi de ce succès, qu’il prit le titre d’imperator, et que les villes par où il passait lui dressèrent des autels, et lui offrirent des sacrifices. Il souffrit même, dit-on, qu’on lui mît des couronnes sur la tête, qu’on lui donnât des festins somptueux, où il buvait revêtu d’une robe triomphale, et où l’on faisait descendre, par le moyen de machines, des figures de la Victoires qui portaient dans leurs mains des trophées d’or et des couronnes ; où enfin des chœurs de jeunes garçons et de jeunes filles chantaient à sa louange des hymnes de triomphe : vanité bien digne d’être moquée ! joie non moins ridicule, si ce qu’il avait battu dans une retraite, ce n’était qu’un fugitif de Sylla, comme il l’appelait, et que le reste de la défaite de Carbon ! Qu’on juge, au contraire, de la magnanimité de Sertorius. Il avait donné le nom de Sénat aux sénateurs qui s’étaient réfugiés de Rome dans son camp ; il prenait parmi eux ses questeurs et ses lieutenants, et il se conformait en tout aux coutumes nationales. Quoiqu’il fît la guerre avec les armes, l’argent et les villes de l’Espagne, il ne céda jamais aux Espagnols, même en paroles, aucune part à l’autorité souveraine : il leur donnait des Romains pour capitaines et pour gouverneurs, comme se proposant de rendre la liberté aux Romains, et non d’accroître, au préjudice des Romains, la puissance des Espagnols.

Car Sertorius aimait tendrement son pays, il désirait vivement d’y retourner ; mais ce désir ne l’empêchait pas de montrer, dans les plus fâcheuses conjonctures, un grand courage : jamais il ne fit la moindre bassesse auprès de ses ennemis : au contraire, dans ses victoires, il envoyait dire à Métellus et à Pompée qu’il était prêt à poser les armes, pour aller vivre en simple particulier, si on lui permettait de retourner à Rome. « Je préfère, disait-il, la vie la plus obscure dans Rome à l’empire du monde entier, s’il fallait l’acheter par l’exil. » Cet amour de la