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grands cris qu’on appelât Eumène, et protestant qu’ils n’avanceraient pas, si Eumène ne se mettait à leur tête. En même temps ils posent leurs boucliers à terre, s’invitent mutuellement à rester là où ils sont, et leurs officiers à se tenir tranquilles, à ne point combattre, et à ne pas s’exposer contre les ennemis, sans Eumène. Celui-ci, informé de leur désir, presse le pas de ceux qui le portaient, et arrive près d’eux en toute hâte ; et, ouvrant des deux côtés les rideaux de sa litière, il tend la main aux soldats, avec un air de joie. À sa vue, les soldats aussitôt le saluent en langue macédonienne ; ils reprennent leurs boucliers, les frappent de leurs sarisses[1], et défient les ennemis en jetant des cris d’allégresse, comme signe de la présence de leur général. Antigonus, qui avait su par des prisonniers qu’Eumène était attaqué d’une maladie grave, et qu’on le portait en litière, crut, lui, que ce n’était pas grande affaire de déconfire ses troupes, et se hâtait pour attaquer ; mais, lorsqu’en avançant il eut reconnu l’ordonnance des ennemis et leur belle disposition, il s’arrêta, tout stupéfait, quelques instants ; puis, quand il eut vu la litière qu’on portait d’une aile à l’autre, il rit aux éclats, selon sa coutume, et dit à ses amis : « C’est cette litière, je crois, qui range les troupes en bataille contre nous. » Aussitôt il battit en retraite, et il rentra dans son camp.

Les soldats d’Eumène, après avoir respiré un instant de leur frayeur, retournèrent à leur première licence, et, insultant leurs officiers, étendirent dans presque toute la province de Gabène[2] leurs quartiers d’hiver ; jusque-là que les derniers étaient campés à mille stades[3] des premiers. Antigonus, informé de ce qui se passait,

  1. Longues piques dont se servaient les Macédoniens.
  2. Partie de l’Elymaïde, dans la Perse, à l’occident de Suses.
  3. Environ cinquante lieues.