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son récit. On dressa donc une tente royale, où l’on plaça un trône, appelé le trône d’Alexandre ; et c’était là qu’ils s’assemblaient pour délibérer sur leurs plus grands intérêts.

Ils s’avançaient vers les hautes provinces, lorsque Peucestas, un ami d’Eumène, vint à leur rencontre avec les autres satrapes, renfort de troupes nombreuses et bien équipées, qui releva encore la confiance des Macédoniens. Mais la licence dans laquelle ces troupes avaient vécu depuis la mort d’Alexandre les avait rendues indociles, et recherchées dans leur manière de vivre : animés d’un orgueil tyrannique, accru encore par une arrogance barbare, les soldats ne pouvaient ni s’accorder, ni se supporter les uns les autres. On les voyait flatter sans mesure les Macédoniens, faire pour eux des frais, des festins et des sacrifices ; en sorte qu’en peu de temps ils eurent fait du camp un lieu de dissolution et de débauche, et de l’armée une multitude dont on achetait les suffrages, comme on fait dans les démocraties, pour parvenir aux emplois militaires.

Eumène, s’étant aperçu qu’ils se méprisaient les uns les autres, mais que tous ils le craignaient, et cherchaient une occasion de se défaire de lui, feignit d’avoir besoin d’argent, et emprunta des sommes considérables de tous ceux qui le haïssaient le plus, afin de forcer leur confiance, et de les intéresser à sa vie, par la crainte de perdre ce qu’ils avaient prêté. Ainsi l’argent d’autrui devint sa sauvegarde ; et, au lieu que les autres donnent pour sauver leurs jours, c’est en empruntant qu’il mit les siens en sûreté. Tant que les Macédoniens n’eurent rien à redouter, ils se livrèrent à tous ceux qui voulurent les corrompre : ils allaient à leur porte pour leur faire la cour ; ils se faisaient leurs satellites ; ils leur déféraient les commandements. Mais, dès qu’Antigonus fut campé auprès d’eux avec une puissante armée, et que les affaires récla-