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deux partis, se servait de l’un et de l’autre, et changeait souvent d’opinions en politique : il n’était ni ami constant, ni ennemi irréconciliable ; il abandonnait avec la plus grande facilité ses affections ou ses ressentiments, suivant ses intérêts : ainsi plus d’une fois on l’a vu, dans un court espace de temps, se porter défenseur et adversaire des mêmes hommes et des mêmes lois. Il pouvait beaucoup par la faveur dont il jouissait, mais non moins par la crainte qu’on avait de lui. On demandait à Sicinius, cet homme qui suscita tant d’embarras aux magistrats et aux démagogues de son temps, pourquoi il laissait Crassus seul passer tranquillement, sans l’attaquer : « Il a du foin à la corne[1], » répondit-il. C’était l’usage à Rome, lorsqu’un bœuf était sujet à frapper de la corne, de lui attacher du foin alentour, pour avertir les passants de se garder de lui.

C’est vers ce temps-là qu’eut lieu ce soulèvement des gladiateurs et ce pillage de l’Italie, qu’on appelle généralement la guerre de Spartacus : voici quelle en fut l’origine. Un certain Lentulus Batiatus nourrissait à Capoue des gladiateurs, la plupart Gaulois ou Thraces. Étroitement enfermés, non pour quelque méfait, mais par l’injustice de celui qui les avait achetés, et qui les forçait de donner leurs combats en spectacle, ils formèrent le projet de s’échapper, au nombre de deux cents. Le complot ayant été découvert, soixante-dix d’entre eux, informés à temps, prévinrent toutes les mesures, enlevèrent de la maison d’un rôtisseur des couteaux de cuisine et des broches, et se précipitèrent hors de la ville. Sur la route ils rencontrent des chariots chargés d’armes de gladiateurs, et destinés pour une autre ville : ils les

  1. On connaît le vers où Horace applique la même expression aux poëtes satiriques : Fenum habet in cornu, longe fuge, dans la quatrième satire du premier livre.