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le peuple un bien fortuné résultat : Paul Émile avait rapporté alors dans le trésor public des sommes si considérables, que les Romains purent demeurer exempts de tout impôt jusqu’au temps d’Hirtius et de Pansa, qui furent consuls durant la première guerre d’Antoine et d’Auguste. Et ce qui fut dans Paul Émile une admirable singularité ; c’est que, malgré l’amour extrême et la vénération que lui portait le peuple, il resta toujours attaché au parti aristocratique : il ne dit, il ne fit jamais rien dans la vue de flatter la multitude ; sur toutes les affaires publiques il se concerta toujours avec les premiers et les plus distingués d’entre les citoyens. C’est le fondement du reproche que dans la suite Appius fit à Scipion l’Africain. Ils étaient en ce temps-là les deux plus grands personnages de Rome, et briguaient ensemble la charge de censeur. Appius était porté par le sénat et par la noblesse, dont les Appius suivaient de tout temps le parti. Scipion, déjà si grand par lui-même, était encore auprès du peuple en grand crédit et en grande faveur. En le voyant arriver dans le Forum, entouré de gens de basse condition, autrefois esclaves, très-propres d’ailleurs à cabaler, à soulever la populace, à tout arracher par des intrigues, par des clameurs, par des voies de fait même, Appius s’écria de toute sa force : « Ô Paul Émile ! gémis dans les enfers de voir le héraut Émilius et Licinius Philonicus conduire ton fils à la censure. »

Scipion ne gagna cette faveur du peuple qu’en faisant tout pour lui ; Paul Émile, au contraire, malgré son dévouement à l’aristocratie, ne fut pas moins aimé des plébéiens que ceux qui s’étudiaient le plus à les flatter et à leur complaire. C’est ce qu’ils firent bien voir, en lui décernant toutes sortes d’honneurs, et en particulier la censure, dignité sacrée entre toutes, et qui, outre les autres prérogatives, donne le droit de rechercher la vie des citoyens. Les censeurs peuvent chasser du Sénat un