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triomphe, ensevelir de mes mains, coup sur coup, deux fils de si belle espérance, les seuls que je me fusse réservés pour héritiers de mon nom. Me voilà maintenant à l’abri des grands dangers, et j’ai une ferme confiance que votre prospérité résistera solide et durable. La Fortune est assez vengée de mes succès par les maux qu’elle a versés sur moi : elle a fait voir, dans le triomphateur, autant que dans le captif traîné en triomphe, un frappant exemple de la fragilité humaine ; avec cette différence pourtant que Persée vaincu a toujours ses enfants, et que le vainqueur a perdu les siens. »

Tel fut, dit-on, le généreux et sublime discours de Paul Émile dans l’assemblée du peuple ; inspiration d’une grandeur d’âme naturelle et qui n’avait rien d’affecté. Quoiqu’il fût très-touché des malheurs de Persée, et qu’il eût un grand désir d’adoucir son sort, la seule chose qu’il put obtenir pour lui, ce fut de le faire transférer de la prison publique dans un lieu décent, où il pût mener une vie moins dure. Il y était étroitement gardé ; et, suivant la plupart des historiens, il s’y laissa mourir de faim. Quelques-uns le font périr d’une mort étrange et peut-être sans exemple. Les soldats préposés à sa garde, irrités contre lui pour je ne sais quel grief, et ne pouvant pas le chagriner ou le maltraiter autrement, avaient imaginé de l’empêcher de dormir : ils épiaient avec soin les moments où il s’assoupissait, et employaient toutes sortes de moyens pour le tenir éveillé ; et Persée serait mort de cette insomnie continuelle. Deux de ses enfants moururent aussi : le troisième, Alexandre, devint habile, dit-on, dans la toreutique et la ciselure. Il apprit aussi à écrire et à parler la langue romaine, et devint greffier public, charge qu’il remplit avec intelligence et à la satisfaction des magistrats.

La conquête de la Macédoine par Paul Émile eut pour