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qui n’a jamais reçu de blessures, un homme au teint frais et vermeil, et qui a toujours vécu à l’ombre, ose décider du mérite des généraux et de leur droit au triomphe ; et cela devant nous, qui avons appris, par tant de blessures, à juger du courage ou de la lâcheté de ceux qui nous commandent. » En disant ces mots, il ouvrit sa robe, et montra sur sa poitrine les cicatrices sans nombre des blessures qu’il avait reçues. Puis, comme il se retournait, il découvrit par mégarde des parties que la bienséance oblige de cacher ; et, voyant rire Galba : « Tu ris, lui dit-il, de l’état de ces parties, et moi j’en fais gloire devant mes concitoyens ; c’est en passant les jours et les nuits à cheval pour leur service, que j’ai gagné ces meurtrissures[1]. Mais allons, prends les suffrages des soldats ; je vais descendre, et les suivre les uns après les autres, pour reconnaître les méchants, les ingrats, et tous ceux qui aiment mieux à la guerre être flattés que commandés. »

Ce discours en imposa, dit-on, si fort à cette soldatesque, et changea tellement les dispositions des esprits, que toutes les tribus décernèrent unanimement le triomphe à Paul Émile. Voici, suivant les témoins, quelle en fut l’ordonnance et la marche. On avait dressé dans les théâtres où se font les courses de chevaux et qu’on appelle cirques, dans le Forum et dans les quartiers de la ville d’où l’on pouvait voir la pompe, des échafauds sur lesquels se placèrent les spectateurs, vêtus de robes blanches. Tous les temples furent ouverts ; on les couronna de festons, on les remplit de la fumée des parfums. Des licteurs en grand

  1. Le récit de Tite Live est plus clair que celui de Plutarque : Quæ dum ostentat, adapertis forte quæ velanda erant, tumor inguinum proximus risum movit. Tum, hoc quoque quod ridetis, inquit, in equis dies noctesque, etc., XLV, 39.