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leur nourriture journalière des mains de leurs ennemis ; croyez-vous qu’il y ait au monde une prospérité vraiment durable et à l’épreuve du temps ? Réprimez donc, mes enfants, cette vaine fierté, cette arrogance que donne la victoire ; portez toujours, pour vous humilier, votre pensée sur l’avenir : comptez que le sort finira quelque jour par vous frapper, et par faire expier à chacun de nous sa prospérité présente. » Paul Émile développa, dit-on, longuement cette pensée ; puis il renvoya les jeunes gens, dont il venait de dompter par ses remontrances, comme par un frein, la présomption et l’audace.

Paul Émile fit prendre ensuite à son armée ses quartiers d’hiver, et partit pour visiter la Grèce, et se procurer une récréation humaine en même temps que glorieuse. Partout, sur son passage, il soulageait les peuples, il réformait les gouvernements ; il prenait dans les magasins du roi de quoi distribuer ici du blé, là de l’huile. Il y trouva, dit-on, de si grandes provisions, que ceux qui étaient dans le cas d’en recevoir manquèrent avant qu’on les eût épuisées. À Delphes, il vit une grande colonne carrée, de pierres blanches, disposée pour recevoir une statue d’or de Persée ; il ordonna qu’on y mît la sienne : « Les vaincus, dit-il, doivent céder la place aux vainqueurs. » À Olympie, il prononça, dit-on, ce mot si souvent répété depuis : « Phidias a sculpté le Jupiter d’Homère. » À l’arrivée des dix commissaires envoyés de Rome, il rendit aux Macédoniens leurs terres, déclara leurs villes libres, et leur permit de se gouverner par leurs propres lois. Il ne leur imposa qu’un tribut annuel de cent talents[1] : ce n’était pas la moitié de ce qu’ils payaient à leurs rois. Il donna ensuite, en l’honneur des dieux, des jeux publics et des sacrifices, ac-

  1. Environ six cent mille francs de notre monnaie.