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Il se plaignait à ses amis d’avoir jeté, par mégarde, aux Crétois des vases d’or qui avaient appartenu à Alexandre le Grand ; et il conjura avec larmes les soldats qui les avaient pris de les lui rendre pour le prix qu’ils valaient. Ceux qui le connaissaient parfaitement virent bien qu’il voulait agir en Crétois avec des Crétois[1] ; mais ceux qui se fièrent à sa parole, et rendirent les vases, les perdirent et n’en reçurent pas le prix. Ayant gagné sur ses amis trente talents[2] dont les ennemis devaient bientôt se saisir, il cingla avec eux vers Samothrace, et se réfugia dans le temple des Dioscures[3].

Les Macédoniens passaient de tout temps pour aimer leurs rois ; mais à cet instant, comme si l’appui eût été brisé, tous ces sentiments s’écroulèrent d’un coup : ils se remirent à la discrétion de Paul Émile, et le rendirent en deux jours maître de toute la Macédoine. C’est là une probabilité en faveur de l’opinion de ceux qui attribuent à la Fortune les succès de Paul Émile. Ajoutons qu’il y eut quelque chose de divin dans ce qui lui arriva à Amphipolis. Comme il sacrifiait dans cette ville, et venait de présenter l’offrande sacrée, la foudre tomba sur l’autel, consuma la victime, et acheva la cérémonie. Mais entre toutes ces faveurs de la divinité et de la Fortune, la plus merveilleuse, sans contredit, c’est ce que fit pour lui la renommée. Il n’y avait que quatre jours de la défaite de Persée à Pydna ; le peuple assistait dans Rome à des courses de chevaux : un bruit soudain se répand, sur les premiers gradins du théâtre, que Paul Émile a vaincu Persée dans une grande bataille, et conquis toute la Macédoine. Cette nouvelle, devenue bientôt publique, excita des transports de joie suivis de battements de mains et d’acclama-

  1. Allusion au proverbe grec : les Crétois sont toujours menteurs.
  2. Environ cent quatre-vingt mille francs de notre monnaie.
  3. Les fils de Jupiter, c’est-à-dire Castor et Pollux.