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ses compagnons qui s’offrent à ses yeux, et implorant leur secours. Une troupe de braves se rassemblent à sa voix ; ils passent, d’un élan, à travers les bataillons romains et fondent sur les ennemis. Après des efforts incroyables et un carnage horrible, blessant et blessés tour à tour, il les poussent hors du champ de bataille : alors restés maîtres du terrain libre et vide, ils se mettent à la recherche de l’épée. Ils la trouvèrent, mais à grand’peine, enfouie qu’elle était sous un tas d’armes et de morts. Transportés de joie et poussant des cris de victoire, ils s’élancent avec une nouvelle ardeur sur ceux des ennemis qui tenaient bon encore ; à la fin, les trois mille soldats d’élite, jusque-là inébranlables à leur poste, et qui se défendaient vigoureusement, furent tous taillés en pièces. Aussitôt l’armée entière prit la fuite.

Le massacre fut si grand que la plaine et les collines étaient toutes jonchées de cadavres, et que, le lendemain de la bataille, quand les Romains passèrent le fleuve Leucus, les eaux étaient encore teintes de sang. Il périt, dit-on, dans cette journée plus de vingt-cinq mille hommes ; les Romains n’en perdirent que cent, selon Posidonius, et, suivant Nasica, quatre-vingts. Le succès de cette lutte formidable avait été bien promptement décidé ; on avait commencé de combattre à la neuvième heure, et la victoire était gagnée avant la dixième. Les Romains profitèrent du reste du jour pour courir après les fuyards : ils leur donnèrent la chasse jusqu’à la distance de cent vingt stades[1], et ils ne revinrent qu’à la nuit fermée. Les esclaves sortirent au devant de leurs maîtres avec de grands cris de joie, et les ramenèrent aux flambeaux dans leurs tentes, qu’on avait illuminées et couronnées de lierre et de laurier.

Le général seul était dans une angoisse mortelle ;

  1. Environ six lieues.