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les sollicitât, qu’à favoriser les changements de domination. Denys le Jeune, dix ans après son expulsion, rassembla des troupes étrangères, chassa Nésée, qui commandait alors dans Syracuse, recouvra son autorité, et se rétablit tyran, comme il l’avait été autrefois. Dépossédé, contre toute prévision, par une poignée de gens, de la plus puissante tyrannie qui fût alors, il redevint, par une fortune plus étrange encore, d’exilé et de pauvre qu’il était, le maître de ceux qui l’avaient chassé. Les Syracusains qui étaient restés dans la ville vivaient esclaves d’un tyran naturellement cruel, et dont l’âme avait tourné jusqu’à la férocité impitoyable par l’effet des revers qu’il avait subis. Les plus gens de bien et les plus considérables s’étaient enfui vers Icétas qui commandait à Léontium[1]. Ils s’étaient remis entre ses mains ; ils l’avaient élu pour leur général, non point qu’il fût meilleur que ceux qui exerçaient ouvertement la tyrannie, mais parce qu’ils ne savaient où recourir ailleurs, et qu’ils espéraient d’avantage d’un homme d’origine syracusaine, et qui disposait de forces suffisantes pour faire tête au tyran.

Sur ces entrefaites, les Carthaginois abordèrent en Sicile avec une flotte nombreuse, et y firent de menaçants progrès. Les Siciliens, alarmés, se décidèrent à envoyer des députés en Grèce pour demander du secours aux Corinthiens. Ils comptaient sur eux non-seulement à titre de parents[2] et pour avoir plus d’une fois éprouvé leurs bons offices, mais aussi parce que Corinthe avait montré de tout temps un profond amour pour la liberté, et une haine non moins vive pour la tyrannie : elle avait entrepris presque toutes ses guerres, et les plus considérables, non pour dominer les peuples, ni par convoi-

  1. Au nord de Syracuse, à vingt lieues environ de la mer.
  2. Syracuse était une colonie de Corinthe.