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faire grâce, à condition qu’avant de le venir joindre ils feraient aux ennemis quelque mal considérable. Ils se fièrent à sa parole, et se jetèrent sur leurs camarades ; et des deux côtés il se fit un grand massacre. Mais Sylla ayant rassemblé tous ceux qui étaient restés de ces trois mille hommes et des autres, jusqu’au nombre de six mille, les fit enfermer dans le Cirque, et convoqua le Sénat dans le temple de Bellone. Au moment où Sylla commençait son discours, les soldats, qui avaient reçu ses ordres, se mirent à massacrer ces six mille prisonnière. Les cris de tant de malheureux qu’on égorgeait à la fois dans cet étroit espace s’entendaient au loin, comme on peut croire ; les sénateurs en furent effrayés. Pour lui, il continua de parler avec le même sang-froid et le même air de visage, et les pria de prêter leur attention à son discours sans s’occuper de ce qui se passait au dehors : « Ce sont, dit-il, quelques mauvais sujets que je fais corriger. » Ces paroles firent comprendre aux Romains, même les plus obtus, qu’ils étaient soumis à un autre tyran, et non pas affranchis de la tyrannie. Marius, qui dès le commencement s’était montré dur et cruel, n’avait fait que roidir son naturel : le pouvoir n’en avait pas changé le fond. Au contraire, Sylla, qui avait profité de sa fortune en citoyen modéré, et qui s’était fait la réputation d’un chef favorable à la noblesse et protecteur du peuple ; qui avait aimé dès sa jeunesse la plaisanterie, et qui s’était montré plus d’une fois sensible à la pitié jusqu’à verser des larmes, donna raison à ceux qui accusent les grandes fortunes de changer les mœurs des hommes, et de les rendre fiers, insolents et cruels. Mais est-ce bien un changement réel que la fortune produise dans le caractère, ou plutôt n’est-ce qu’un développement de la méchanceté cachée au fond du cœur, favorisé par la puissance ? c’est là une question à traiter dans une autre sorte d’ouvrage.

Dès que Sylla eut commencé à faire couler le sang,