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arrêtaient, et, aux yeux de l’armée ennemie, les soldats semblaient couronnés de fleurs. Encouragés par ce prodige, ils tombèrent sur les ennemis avec tant de vigueur qu’ils remportèrent une pleine victoire : ils leur tuèrent plus de dix-huit mille hommes, et s’emparèrent de leur camp. Ce Lucullus était frère de celui qui, dans la suite, vainquit Mithridate et Tigrane.

Sylla, qui se voyait de tous les côtés environné d’une foule de camps ennemis et d’armées considérables, se sentait inférieur en force : il eut recours à la ruse, et fit faire à Scipion, l’un des consuls, des propositions d’accommodement. Scipion s’y prêta, et ils eurent ensemble plusieurs conférences ; mais Sylla trouvait toujours quelque prétexte pour traîner l’affaire en longueur ; et, pendant ce temps-là, il travaillait à corrompre les troupes de Scipion par l’entremise de ses propres soldats, exercés, comme l’était leur général lui-même, à toutes sortes de ruses et de tromperies. Ils entrèrent dans le camp des ennemis, se mêlèrent avec eux, gagnèrent les uns par argent, les autres par des promesses, ceux-ci par des flatteries, et réussirent à les séduire. Enfin, Sylla s’étant approché avec vingt cohortes, ses soldats saluèrent ceux de Scipion, qui leur rendirent le salut et vinrent se joindre à eux. Scipion, resté seul dans sa tente, fut pris et renvoyé. Sylla, qui s’était servi de ses vingt cohortes comme on fait des oiseaux privés, pour attirer dans ses filets les quarante cohortes des ennemis, emmena tout ce monde dans son camp. C’est alors que Carbon dit le mot qu’on lui prête : « J’ai à combattre à la fois le lion et le renard qui habitent dans l’âme de Sylla ; mais c’est le renard qui me donne le plus d’affaires. »

À quelque temps de là, le jeune Marius, campé auprès de Signium[1] avec quatre-vingt-cinq cohortes, présenta

  1. Sur la voie latine à treize milles de Rome.