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avec attention et les mouvements de son corps et les expressions de sa pensée, appliqua les règles de son art à ce qu’il avait saisi de son caractère : « Cet homme, dit-il, parviendra nécessairement au plus haut degré de grandeur ; et je m’étonne même comment il endure dès à présent de n’être pas le premier de l’univers. » Sylla, de retour à Rome, fut accusé de péculat par Censorinus, comme ayant, contre la loi, emporté de grandes sommes d’argent d’un royaume ami et allié ; mais l’affaire ne vint point en justice, et Censorinus se désista de l’accusation.

Cependant l’inimitié de Marius et de Sylla augmenta d’intensité, réveillée tout à coup par une occasion que fit naître l’ambition de Bocchus. Pour flatter le peuple et faire plaisir à Sylla, Bocchus dédia, dans le Capitole, des Victoires d’or qui portaient des trophées, et, auprès d’elles, un bas-relief d’or représentant Jugurtha qu’il remettait lui-même entre les mains de Sylla. Marius en fut tellement irrité, qu’il voulut faire disparaître ce monument[1]. Les amis de Sylla prirent parti pour lui ; et cette querelle avait presque mis la ville dans une complète combustion, quand la guerre sociale, qui couvait depuis longtemps, venant tout à coup à éclater, apaisa pour le moment les divisions intestines.

Dans cette guerre si importante, si pleine de vicissitudes, et qui exposa les Romains à toute sorte de maux et aux plus graves périls, Marius ne put rien faire de grand, et prouva par son exemple que la vertu guerrière a besoin d’être soutenue de la force et de la vigueur du corps. Au contraire, Sylla y mérita, par vingt exploits mémorables, la réputation d’un grand capitaine aux yeux de ses concitoyens ; aux yeux de ses amis, celle du plus grand homme de guerre de son temps ; et celle du plus heureux des généraux aux yeux de ses ennemis mêmes.

  1. Voyez la Vie de Marius dans ce volume.