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foi à ses proches, et en s’allant livrer lui-même entre ses mains pour en retirer un autre. Bocchus, qui les tenait l’un et l’autre en sa puissance, et qui s’était mis dans la nécessité de trahir l’un des deux, flotta longtemps indécis, ne sachant quel parti prendre : à la fin il s’arrêta à la première trahison qu’il avait projetée, et remit Jugurtha entre les mains de Sylla. À la vérité, ce fut Marius, qui mena le captif en triomphe ; mais l’envie qu’on portait au consul faisait attribuer à Sylla la gloire de cet heureux succès. Marius en conçut un secret dépit, surtout lorsqu’il vit Sylla lui-même, homme naturellement vain, s’enorgueillir d’un événement qui l’arrachait à une vie longtemps obscure et ignorée, et le mettait en lumière aux yeux des citoyens. Séduit par cette première amorce de gloire, Sylla en vint jusqu’à cet excès de vanité, qu’il fit graver cet exploit sur un anneau dont il se servit toujours depuis. On y voyait Bocchus qui livrait Jugurtha, et Sylla qui le recevait de ses mains[1].

Quelque déplaisir qu’en eût Marius, il fit réflexion que Sylla était un personnage trop peu important pour exciter aucune jalousie, et il continua de l’employer à l’armée. Dans son second consulat, il en fit son lieutenant ; dans son troisième consulat un de ses tribuns militaires ; et il lui dut en plusieurs rencontres de notables succès. En effet, pendant sa lieutenance, Sylla fit prisonnier Copillus, chef des Tectosages[2] ; et, pendant son tribunat, il décida les Marses, nation nombreuse et guerrière, à conclure avec les Romains un traité d’amitié et d’alliance. Puis, comme il se fut aperçu que Marius était fâché contre lui, et qu’il ne lui donnait qu’à regret des occasions de se signaler, et nuisait même à son avan-

  1. Voyez la Vie de Marius dans ce volume.
  2. Peuplade de la Gaule narbonnaise, et dont Tolos était la capitale.