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byens, au moment de partir, dirent aux Spartiates : « Nous jugerons avec plus de justice, lorsque vous viendrez vous établir en Libye. » C’est qu’il y avait un ancien oracle d’après lequel les Lacédémoniens devaient un jour habiter cette contrée. Mais je vais exposer ici toute la suite de cette intrigue, toute l’adresse que Lysandre mit dans une fiction où il procéda, non pas en homme inhabile et par des ressources vulgaires, mais en établissant, comme on fait dans une démonstration géométrique, plusieurs propositions importantes, pour arriver, par des prémisses difficiles et souvent obscures, au dernier terme de la conclusion. Je suis la version d’Éphore, historien et philosophe distingué.

Il y avait, dans le Pont, une femme qui prétendait être enceinte des œuvres d’Apollon. Bien des gens refusèrent, comme on pense bien, d’ajouter foi à ses paroles ; mais d’autres en grand nombre y crurent. Elle accoucha d’un enfant mâle, que plusieurs personnes des plus considérables, briguèrent l’honneur de nourrir et d’élever, et qui, je ne sais pour quelle raison, fut appelé Silénus. Lysandre saisit cet événement pour en faire le début de la pièce ; il organisa et ourdit de son chef tout le reste. Bon nombre de personnes, et qui n’étaient pas de condition vile, servirent d’acteurs au prologue, en accréditant la naissance divine de cet enfant d’un air si naturel, qu’on n’y put soupçonner aucun artifice. Ils jetèrent aussi et semèrent dans Sparte certains propos qu’ils avaient rapportés de "Delphes : les prêtres du temple conservaient soi-disant, dans des livres secrets, des oracles fort anciens, qu’il n’était permis ni à eux-mêmes ni à toute autre personne de toucher ou de lire ; mais un fils d’Apollon, venant après une longue suite de siècles, devait donner aux dépositaires des signes certains de sa naissance, et emporter les livres où étaient contenus les oracles.