Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 2.djvu/468

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vaisseaux des Spartiates avaient la proue tournée contre l’ennemi, et étaient, dès la veille, garnis de tout leur équipage. Cependant Lysandre ne fit aucun mouvement ; au contraire, il dépêcha de petits esquifs aux navires qui étaient les plus avancés pour leur enjoindre de rester en bataille sans se déranger, sans faire aucun bruit, et de ne pas répondre à la provocation. Le soir, quand les Athéniens se furent retirés, il ne laissa débarquer ses soldats qu’après que deux ou trois trirèmes qu’il avait envoyées à la découverte eurent vu les ennemis descendre sur le rivage. Il fit de même les trois jours suivants : conduite qui remplit les Athéniens de confiance en eux-mêmes et de mépris pour les Lacédémoniens, en leur faisant croire que les ennemis étaient frappés de crainte et n’osaient bouger.

Cependant Alcibiade, qui vivait alors dans ses places fortes de la Chersonèse[1], vint à cheval au camp des Athéniens, et remontra aux généraux, premièrement qu’ils avaient mal pris leurs mesures et commis une dangereuse imprudence en choisissant pour la station de la flotte une côte découverte et qui n’avait aucun abri ; en second lieu, qu’ils avaient eu tort d’abandonner Sestos, d’où ils tiraient leurs provisions, et qu’ils feraient sagement de regagner promptement le port de cette ville pour se mettre en garde, par l’éloignement, contre une soudaine attaque des ennemis, lesquels, commandés par un seul chef, suivaient une exacte discipline et obéissaient au moindre signal. Mais les généraux n’écoutèrent point ses représentations ; et même Tydée lui fit une réponse insolente : « Ce n’est pas à toi qu’obéit l’armée, dit-il, mais à d’autres. » Aussi Alcibiade, qui soupçonna quelque trahison de leur part, se retira sans répliquer.

Le cinquième jour, les Athéniens vinrent encore pré-

  1. Voyez la Vie d’Alcibiade dans le premier volume.