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heureux il n’y a plus d’hôtes, plus d’amis fidèles. Bien rares furent ceux qui ne livrèrent point les infortunés qui leur avaient demandé asile. Aussi devons-nous tous nos éloges, toute notre admiration aux esclaves de Cornutus. Après avoir caché leur maître dans sa maison, ils prirent un des nombreux cadavres qui jonchaient la rue, le pendirent par le cou, lui mirent au doigt un anneau d’or, et le montrèrent aux satellites de Marius ; puis, ils l’ensevelirent et l’enterrèrent. Personne n’eut aucun soupçon, et Cornutus, ainsi échappé grâce à ses esclaves, se retira en Gaule.

L’orateur Marcus Antonius[1] avait bien trouvé aussi un ami sûr ; mais il n’eut pas le bonheur de Cornutus. Cet ami était un homme du peuple, pauvre, et qui, ayant reçu chez lui un des principaux personnages de Rome, voulut le traiter aussi convenablement que ses moyens le lui permettaient. Il envoya son esclave chez un des cabaretiers voisins pour acheter du vin. Comme l’esclave le goûtait avec plus de soin qu’à l’ordinaire, et qu’il s’en faisait servir du meilleur, le marchand lui demanda pourquoi il n’achetait pas, comme de coutume, du vin nouveau, du commun, mais du recherché et du cher. L’esclave lui répondit naïvement, et comme à un camarade, à une ancienne connaissance, que son maître traitait Marcus Antonius, qu’il cachait dans sa maison. Et il ne fut pas plutôt sorti que le scélérat et perfide cabaretier courut chez Marius, qui était déjà à table. Introduit aussitôt, il annonce qu’il va lui livrer Antonius. À cette parole, Marius poussa, dit-on, un grand cri, et de joie il frappa dans ses mains ; et peu s’en fallut qu’il ne se levât de table pour aller lui-même dans cette maison ;

  1. Aïeul du triumvir, et le plus célèbre des orateurs romains du temps. Cicéron a élevé dans le de Oratore un magnifique monument à sa gloire et à la gloire de son contemporain et ami Crassus.