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consacra sa maison tout entière au Génie sacré[1]. La maison qu’il occupait était un prix que les Syracusains lui avaient décerné en récompense de ses services. Ils lui avaient donné aussi une habitation des champs fort agréable, et où il passait presque tout son loisir avec sa femme et ses enfants, qu’il avait fait venir de Corinthe ; car il ne retourna plus dans sa patrie, et ne prit aucune part aux troubles de la Grèce[2] ; il ne s’exposa point à l’envie de ses concitoyens, et évita l’écueil où vont si souvent échouer les généraux insatiables d’honneurs et de puissance. Il se fixa pour toujours à Syracuse, où il jouissait de tout le bien qu’il avait fait : le plus grand de tous, c’était de voir tant de villes et tant de milliers d’hommes lui devoir leur bonheur.

Il est nécessaire, dit Simonide, que toute alouette ait une huppe sur la tête ; il ne l’est pas moins que, dans tout gouvernement populaire, il se trouve quelque accusateur. Aussi Timoléon fut-il en butte aux attaques de deux démagogues, Laphystius et Déménétus. Laphystius l’assigna à comparaître, et lui demanda caution ; mais le peuple se souleva contre l’accusateur. Timoléon arrêta le tumulte, et s’adressant à l’assemblée : « Si j’ai bravé volontairement tant de dangers, dit-il, et accompli tant de travaux, c’était pour que tout citoyen eût la liberté de faire observer les lois. » Déménétus l’avait accusé en pleine assemblée de plusieurs abus d’autorité dans son commandement : Timoléon ne répondit rien à ses accusations ; il se contenta de remercier les dieux d’avoir exaucé la prière qu’il leur avait faite de voir les Syracusains jouir de la pleine liberté de tout dire.

Les exploits de Timoléon l’emportèrent donc, et par

  1. C’est un des noms de la Fortune.
  2. C’était le temps des triomphes de Philippe, et de l’humiliation des républiques grecques par le conquérant macédonien.