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même : ainsi l’artiste, après que l’œuvre est terminée, y ajoute cette grâce et cette perfection qui la rendent digne des dieux.

Il y avait alors dans la Grèce plus d’un grand homme, et qu’avaient illustré de glorieux exploits : un Timothée, un Agésilas, un Pélopidas, un Épaminondas surtout que Timoléon avait pris pour modèle ; mais leurs actions s’offraient aux yeux avec je ne sais quel mélange de violence et d’effort qui en affaiblissait l’éclat ; quelques-unes mêmes avaient été suivies du blâme et du repentir. Au contraire, dans tout ce qu’a fait Timoléon, si l’on excepte la nécessité à laquelle il fut réduit à l’égard de son frère, il n’y a rien, comme le dit Timée, où l’on ne puisse appliquer ces vers de Sophocle[1], et s’écrier : « Est-ce Vénus, est-ce l’Amour qui a mis ici la main ? » En effet, voyez les poëmes d’Antimachus et les tableaux de Denys, tous deux Colophoniens : ils ont du nerf et de la vigueur, mais on y sent comme le travail et la contrainte ; au contraire, les tableaux de Nicomachus et les vers d’Homère, outre la perfection et la grâce dont ils brillent, ont surtout un naturel et une facilité qui vous charment. Même contraste, si vous comparez les exploits d’Épaminondas et d’Agésilas à ceux de Timoléon : là, c’est l’effet du travail et de la difficulté ; ici, la beauté se trouve toujours jointe à la facilité ; c’est, en un mot, pour tout homme qui en jugera sainement et sans prévention, non l’œuvre de la Fortune, mais de la vertu heureuse. Timoléon pourtant rapportait lui-même à la Fortune tous ses succès ; et, dans ses lettres à ses amis de Corinthe, dans ses discours aux Syracusains, souvent il remercia cette divinité de ce qu’ayant voulu sauver la Sicile, elle avait attaché cette gloire à son nom. Il dédia chez lui une chapelle au Hasard, et y fit des sacrifices ; il

  1. Dans une de ses pièces aujourd’hui perdues.