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entretenir la confiance des Romains, c’est que la poussière leur dérobait les ennemis : ils ne distinguaient pas de loin leur multitude innombrable ; et chaque bataillon ayant couru charger ceux qu’il avait en face, ils en étaient venus aux mains avant que la vue pût les effrayer. D’ailleurs leurs corps étaient si exercés, si endurcis à la fatigue, qu’on n’en voyait pas un suer ni haleter, malgré une chaleur étouffante, et quoiqu’ils eussent chargé en courant. C’est ce que Catulus lui-même rapporte, dit-on, à la louange de ses soldats[1].

En cet endroit périt le plus grand nombre des ennemis, et c’étaient les plus braves. Pour que leurs lignes ne pussent se rompre, les hommes des premiers rangs s’étaient liés les uns aux autres par de longues chaînes attachées à leurs baudriers. Cependant, lorsqu’on les eut mis en fuite et poussés jusqu’à leurs retranchements, on vit un spectacle bien horrible. Les femmes, vêtues de noir, s’étaient placées sur les chariots, et elles tuaient les fuyards, celles-ci leurs maris, celles-là leurs frères ou leurs pères ; et elles étranglaient de leurs mains leurs enfants à la mamelle, et les jetaient sous les roues des chariots et sous les pieds des chevaux ; puis elles s’égorgeaient elles-mêmes. On dit qu’on en vit une se pendre à l’extrémité d’un timon avec ses deux enfants attachés par des lacs et pendus à ses deux pieds. Quant aux hommes, à défaut d’arbres, ils s’attachaient par le cou aux cornes ou aux jambes des bœufs, et puis les piquaient de l’aiguillon ; et ils périssaient entraînés et écrasés sous leurs pieds. Beaucoup périrent de cette manière ; on fit ce-

  1. Catulus, que Plutarque ne cite que de seconde main, avait écrit l’histoire de son consulat et des actes de sa vie politique. Cicéron, dans le Brutus, fait l’éloge du style de cet ouvrage. Catulus se mêlait aussi de poésie, et il reste de lui deux épigrammes qui témoignent de l’enjouement de son esprit, mais non de la chasteté de ses mœurs.