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faisait considérer les ennemis, les accoutumant à soutenir leur aspect, à ne point s’étonner de leur voix brutale et sauvage, à envisager sans effroi leur armure et leurs mouvements ; aussi finit-il par les familiariser avec ce qui leur paraissait d’abord effrayant ; car il pensait que la nouveauté ment beaucoup à l’imagination et lui fait exagérer ce qu’il y a de terrible dans les objets, au lieu que l’habitude ôte, même aux choses réellement effrayantes, une partie de l’effroi qu’elles peuvent inspirer.

Ainsi la vue journalière des Barbares effaçait peu à peu la crainte dont les soldats avaient été frappés ; leurs menaces et leur jactance insupportable excitaient la colère des Romains, échauffaient et enflammaient leurs âmes. L’ennemi enlevait, emportait tout ce qui se trouvait aux environs ; il se ruait même sur les retranchements avec une grande audace et une révoltante insolence ; tellement que les soldats, indignés, se laissaient aller à des murmures contre Marius. « Quelle lâcheté Marius a-t-il reconnue en nous pour nous tenir, loin du combat, comme des femmes, sous les clefs et le verrou. Hé bien ! montrons-nous des hommes libres, et demandons-lui s’il attend d’autres troupes pour défendre la liberté, et s’il ne voudra nous employer que comme manœuvres, lorsqu’il aura des fossés à creuser, de la bourbe à enlever, des rivières à détourner. C’est pour cela sans doute qu’il nous exerçait par tant de fatigues ; et voilà les beaux ouvrages qu’il a voulu montrer à ceux de Rome comme monuments de ses consulats ! Craint-il le sort de Carbon et de Cépion, que l’ennemi a vaincus ? Mais ils étaient bien au-dessous de Marius en réputation et en courage ; et ils avaient une armée bien moins forte que la sienne. Et, d’ailleurs, ce serait plus beau d’éprouver un revers, comme eux, en agissant du moins, que de rester là tranquilles spectateurs du pillage de nos alliés. »