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parce qu’on s’attendait à en essuyer une seconde, vu l’accroissement des forces de Pyrrhus par l’adjonction de celles des Italiens. Sur ces entrefaites, Appius Claudius[1], personnage illustre que sa vieillesse et la perte de la vue avaient éloigné des affaires publiques et forcé de ne plus s’en mêler, informé des propositions de Pyrrhus et du bruit qui courait par la ville que le Sénat allait décréter le traité, ne put contenir son indignation : il ordonna à ses gens de le prendre et de le porter au Sénat ; et ils le transportèrent dans sa litière, à travers la place publique. Arrivé à la porte de la salle, ses fils et ses gendres le reçurent, et l’introduisirent en le soutenant des deux côtés ; le Sénat fit silence, par honneur et par respect pour le vieillard. Appius prend la parole à l’instant même : « Jusqu’aujourd’hui, Romains, dit-il, je m’affligeais, certes, de la perte de mes yeux ; mais maintenant je suis malheureux, outre ma cécité, de n’être pas sourd aussi, et d’avoir à entendre que vous vous laissez aller à des délibérations et à des avis honteux, et qui ternissent la gloire de Rome. Qu’est devenue cette opinion que vous aviez donnée de vous à l’univers ? On disait que si ce fameux Alexandre le Grand était venu en Italie, et qu’il fût entré en lutte avec vous, jeunes alors, et vos pères encore dans la force de l’âge, on ne le chanterait pas aujourd’hui comme un héros invincible ; mais que sa fuite, ou sa mort sur nos champs de bataille aurait agrandi la célébrité de Rome. Ce n’était donc que jactance et bravades ; vous le prouvez, puisque vous avez peur de Chaoniens et de Molosses, proie ordinaire des Macédoniens ; puisque vous tremblez devant un Pyrrhus, qui n’a jamais été que le courtisan et le valet d’un des gardes

  1. C’est celui qui fit construire cette magnifique et indestructible voie qu’on nomme Appienne, et un aqueduc qui apportait à Rome l’eau de l’Anio.