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sives : aussi ne pouvaient-ils se soutenir dans la fange ; l’eau dont leurs cottes d’armes étaient pénétrées en augmentait encore la pesanteur, et leur ôtait l’agilité nécessaire pour combattre : ils étaient facilement renversés par les Grecs ; et, une fois tombés, il n’y avait plus moyen pour eux, avec leurs armures, de se relever du milieu du bourbier. Le Crimèse, déjà grossi par les pluies, s’était débordé par l’effet du passage de l’armée ; et la plaine, toute coupée de creux et de ravins, offrait à chaque pas des torrents roulant çà et là au hasard ; les Carthaginois perdaient pied dans ces fondrières, et ne s’en dégageaient qu’avec de grands efforts. L’orage continuait toujours ; et, les Grecs ayant renversé les quatre cents hommes qui formaient la première ligne, tout le reste de l’armée prit la fuite. Un grand nombre furent tués dans la plaine ; un plus grand nombre encore, entraînés par le fil de l’eau contre ceux qui n’avaient pas fini de passer le fleuve, s’y noyèrent ; la plupart des autres, qui s’étaient réfugiés sur les collines, furent taillés en pièces par l’infanterie légère. Il périt, dit-on, dans ce combat, dix mille hommes, dont trois mille Carthaginois. Ce fut pour Carthage un grand sujet de deuil, car c’étaient les citoyens les plus distingués par la naissance, la richesse et le courage ; et jamais, de mémoire d’homme, on n’avait vu tant de Carthaginois tués dans une seule bataille, parce qu’ils se servaient ordinairement, dans leurs guerres, de Libyens, d’Espagnols et de Numides, et payaient leurs défaites d’un sang étranger.

La richesse des dépouilles fit juger aux Grecs de la qualité des morts. Ils ne se donnèrent pas la peine de ramasser l’airain et le fer, tant il y avait d’argent et d’or en abondance. Car ils avaient passé la rivière, et s’étaient emparés du camp et des bagages. Les soldats dérobèrent un grand nombre de prisonniers ; ceux qu’ils mirent en commun montèrent à cinq mille. Il y eut deux cents chars de