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de joie, qui retentissait jusqu’à la mer. Tout le théâtre se leva debout et ne pensa plus aux combattants ; tous s’empressaient de courir saluer Titus : on l’appelait le sauveur, le défenseur de la Grèce. On vit alors s’effectuer ce qu’on répète souvent pour désigner toute la force possible et toute la grandeur des cris d’une foule nombreuse. Des corbeaux qui volaient par hasard au-dessus de l’assemblée, tombèrent dans le stade[1]. La cause en est qu’il se fit une rupture dans le tissu de l’air, lequel se déchire lorsqu’il est en même temps frappé par plusieurs voix très-fortes, et n’offre plus au vol des oiseaux un appui suffisant ; et ceux-ci glissent d’en haut, comme s’ils tombaient dans le vide. Peut-être est-il plus vrai de dire qu’ils tombent et meurent, frappés avec force par ces voix réunies, comme par un trait ; ou bien encore ce serait un effet des tourbillons qui s’élèvent dans l’air, comme on voit tournoyer les vagues de la mer, agitées violemment par la tempête.

Titus, à la fin du spectacle, prévoyant qu’il se ferait autour de lui un concours immense, se déroba bien vite à leur empressement, sans quoi il eût couru risque de se voir étouffé, tant la foule affluait, et de tous les côtés à la fois ! Quand ils furent bien las d’avoir crié jusqu’à la nuit devant sa tente, ils se retirèrent, et tous ceux de leurs amis et de leurs concitoyens qu’ils rencontraient, ils les saluaient, les embrassaient ; puis ils s’en allaient les uns chez les autres souper et vider les coupes ensemble. Et là, comme on pense bien, la joie redoublait encore : on s’entretenait de la Grèce ; on se rappelait les grands combats qu’elle avait soutenus pour la liberté : « Après tant d’efforts, disaient-ils, elle n’a jamais reçu de salaire plus doux et plus solide de ses travaux, que

  1. Voyez dans la Vie de Pompée un autre exemple de cet étrange phénomène, ou plutôt de ce singulier hasard.