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ils n’osaient l’attaquer ; ils se contentaient de crier, et de voltiger autour de lui, mais de loin. À force de s’écarter ainsi pour donner du temps à ses jeunes cavaliers, qu’il faisait défiler un à un, il se trouva, sans le savoir, coupé tout seul au milieu d’une multitude d’ennemis. Aucun d’eux pourtant n’osait encore l’assaillir corps à corps ; mais de loin ils l’accablèrent de traits et l’enfermèrent dans un endroit tout rempli de rochers et de précipices, à travers lesquels il dirigeait avec peine son cheval, dont il déchirait les flancs à coups d’éperon. Grâce à l’exercice qu’il avait toujours pris, sa vieillesse était souple et agile, et elle ne l’eût nullement empêché de se sauver ; mais, ce jour-là, affaibli par la maladie et brisé de fatigue par la longue route qu’il avait faite, il était appesanti et se remuait avec peine ; son cheval vint à broncher, et le jeta par terre. La chute fut si lourde qu’il en fut étourdi et demeura longtemps étendu sans parler. Les ennemis, le croyant mort, se mirent à le retourner et à le dépouiller. Mais, lorsqu’il leva la tête et les regarda, ils se jetèrent sur lui en foule, lui attachèrent les mains sur le dos, et l’emmenèrent enchaîné, en l’accablant d’injures et d’outrages, qu’un tel homme n’eût jamais imaginé, même en songe, devoir un jour endurer de la part d’un Dinocratès.

À cette nouvelle, ceux de la ville, saisis d’un transport merveilleux, coururent en masse vers les portes. Cependant, lorsqu’ils virent Philopœmen ainsi traîné en dépit de sa gloire, de ses actions passées et de ses trophées, la plupart éprouvèrent un sentiment de compassion et s’apitoyèrent sur son sort. Des larmes coulaient, et l’on prenait en dédain cette puissance humaine à laquelle on ne peut se fier, et qui n’est que néant. Et peu à peu une parole d’humanité se répandit dans la foule « On ne doit pas oublier ce qu’il a fait de bien autrefois, la liberté qu’il nous a rendue en chassant de chez nous le