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conduire, que parce qu’ils craignent ceux qui l’exerceraient avec justice. » Le peuple romain, dans cette occasion, se montra véritablement grand et digne d’avoir de grands magistrats pour le gouverner ; car, loin de redouter la roideur et l’inflexibilité de Caton, il rejeta ces compétiteurs si doux, et qui paraissaient si disposés à complaire à tous ses désirs. Il élut Flaccus avec Caton, déférant, eût-on dit, non point à la sollicitation d’un candidat, mais au commandement d’un homme en possession déjà de la puissance et du droit d’ordonner.

Caton nomma sénateur Lucius Valérius Flaccus, son collègue et son ami ; il chassa du corps plusieurs sénateurs, entre autres Lucius Quintius, qui avait été consul sept ans auparavant ; et, titre de gloire plus grand encore que le consulat, Lucius était frère de Titus Flamininus, vainqueur de Philippe, roi de Macédoine. Voici quelle fut la cause de cette flétrissure. Lucius avait chez lui un jeune homme d’une grande beauté, qui ne le quittait jamais. Ce que Lucius, à l’armée, prodiguait d’honneurs et d’autorité à ses plus intimes amis et à ses proches même, n’était rien au prix de l’ascendant de ce favori. Or, Lucius gouvernait une province consulaire ; le jeune homme, dans un banquet, était placé à table auprès de lui, selon sa coutume, et lui tenait de ces discours flatteurs qui avaient toujours un grand pouvoir sur l’esprit du personnage, surtout lorsqu’il était dans le vin. « Je t’aime à ce point, dit-il ensuite, que j’ai laissé, pour courir à toi, un spectacle de gladiateurs, quoique je n’en eusse jamais vu encore, et malgré mon désir de voir égorger un homme. — N’aie point de regret à ce plaisir, lui dit Lucius, pour répondre à la flatterie ; je t’en dédommagerai. » Il commande qu’on amène dans la salle du banquet un des criminels condamnés à mort, et qu’on fasse venir le licteur avec sa hache. Eux entrés, il demande à son favori s’il veut voir donner le coup. « Oui, dit le jeune homme ; »