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de se faire nommer son successeur dans le gouvernement de l’Espagne. Il partit avec une diligence extrême, et ôta à Caton le commandement de l’armée. Caton prit pour escorte cinq compagnies de fantassins et cinq cents cavaliers. Il subjugua, chemin faisant, la nation des Lacétaniens[1] et reprit six cents déserteurs, qu’il punit tous de mort. Scipion en ayant fait ses plaintes, Caton lui répondit, d’un ton d’ironie : « Le vrai moyen d’augmenter la grandeur de Rome, c’est que les nobles et les grands ne cèdent point aux citoyens obscurs le prix de la vertu, et que les plébéiens comme je suis, le disputent de vertu avec les citoyens les plus éminents en noblesse et en gloire. » Quoi qu’il en soit, le Sénat décida que rien ne serait changé ni touché de ce qu’avait fait Caton ; de sorte que Scipion, dans ce gouvernement, diminua plutôt sa gloire que celle de Caton ; car il passa tout son temps dans l’inaction et dans un inutile loisir.

Caton, après son triomphe, ne fit pas comme tant d’autres, qui combattent bien moins pour la vertu que pour la gloire, et ne sont pas plutôt parvenus aux honneurs suprêmes, n’ont pas plutôt obtenu des consulats et des triomphes, qu’ils renoncent aux affaires et passent le reste de leurs jours dans les délices et l’oisiveté. Lui, au contraire, il ne relâcha rien de son activité, et persévéra dans l’exercice de la vertu. On eût dit un de ceux qui mettent, pour la première fois, la main aux affaires politiques, et qui sont altérés d’honneurs et de gloire : comme s’il eût commencé une nouvelle carrière, il se montra, plus que jamais, dévoué au service de ses amis et des autres citoyens, et ne refusa ni de les défendre en jugement, ni de les accompagner dans leurs expéditions. Ainsi il suivit, en qualité de lieutenant, le consul Tibé-

  1. Au pied des Pyrénées, dans ce qu’on appelle aujourd’hui la Catalogne.