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assis dans la boutique d’un parfumeur, ou à boire du vin frelaté dans un cabaret, à se quereller sur les places avec des prostituées, à donner des leçons de chant aux actrices, à disputer sérieusement avec elles sur des chansons de théâtre et sur les lois de l’harmonie. Les uns prétendaient que Denys donnait dans ces futilités vaines, sans dessein prémédité, par lâcheté naturelle et par un penchant pour la crapule ; il en usait ainsi, suivant d’autres, pour se faire mépriser des Corinthiens : il ne voulait pas qu’on le crût dangereux, qu’on le soupçonnât de supporter impatiemment ce revers de fortune, et de penser à recouvrer son premier état ; aussi prenait-il un déguisement qui n’allait point à sa nature, quand il affectait cette extrême bassesse dans ses goûts.

Quoi qu’il en soit, on cite de lui quelques mots qui prouvent qu’il soutenait avec courage sa fortune présente. Lorsqu’il eut abordé à Leucade, ville fondée, comme celle de Syracuse, par les Corinthiens : « J’en suis, dit-il, au même point que les jeunes gens qui ont commis des fautes ; ils se rapprochent volontiers de leurs frères, et s’éloignent tout honteux de la vue de leurs pères. Moi aussi, je fuirais volontiers loin de la cité maternelle, et j’aimerais à vivre ici avec mes frères. » À Corinthe, un étranger le raillait grossièrement sur le goût qu’il avait eu, pendant sa tyrannie, pour les entretiens des philosophes, et finit par lui demander quel fruit il avait retiré de la sagesse de Platon : « Te semble-t-il, répondit Denys, que je n’aie rien gagné avec Platon, quand tu vois comment je supporte les revers de la fortune ? » Le musicien Aristoxène et quelques autres lui demandaient pourquoi et en quoi il avait eu à se plaindre de Platon. « De tous les maux, dit-il, dont la tyrannie est pleine, le pire sans contredit, c’est qu’entre ceux qui se disent les amis du tyran, il n’en est pas un seul qui parle avec franchise : ce sont mes flatteurs qui