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prononcer au théâtre les vers d’Eschyle sur Amphiaraüs[1] :

Il ne veut point paraître juste[2], mais l’être ;
Son âme est un sol fécond
Où germent les prudents conseils…


tous les spectateurs jetèrent les yeux sur Aristide, reconnaissant, en quelque sorte, qu’il était, entre tous, l’exemple vivant de cette vertu. Il savait, pour défendre la justice, résister avec force, non-seulement à l’amitié et à la faveur, mais aussi à la colère et à la haine. Un jour, dit-on, il poursuivait devant le tribunal un de ses ennemis : après qu’il eut proposé ses chefs d’accusation, les juges ne voulaient pas entendre l’accusé, et se disposaient à porter sur-le-champ la sentence ; Aristide s’élance de sa place, et se jette avec lui aux pieds des juges, pour les supplier de l’écouter, et de le laisser jouir du privilège des lois. Une autre fois, deux particuliers plaidaient devant lui : « Mon adversaire, dit le demandeur, t’a bien souvent fait tort, Aristide. — Mon ami, dit Aristide, expose seulement tes griefs contre lui ; c’est ton affaire que je juge, et non la mienne. »

Élu trésorier général des revenus publics, il convainquit de soustractions considérables, non-seulement les magistrats alors en charge, mais ceux des années précédentes, particulièrement Thémistocle,

Homme sage au demeurant, mais qui n’était pas maître de sa main[3].

  1. Dans la tragédie des Sept devant Thèbes.
  2. Plutarque donne δίκαιος, mais dans le texte même d’Eschyle il y a ἄριστος, brave.
  3. C’est un vers ïambique, tiré probablement de quelque comédie aujourd’hui perdue.