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conduite : il tenait qu’un bon citoyen ne doit avoir d’autre appui que l’habitude de dire et de faire ce qui est juste et honnête. Il y dérogea pourtant. Thémistocle ne cessait de faire des entreprises téméraires ; il entravait tous les projets d’Aristide, et rompait toutes ses mesures. Aristide fut contraint de contrarier, lui aussi, les vues de Thémistocle, soit pour sa propre défense, soit pour rabattre une autorité que la faveur du peuple accroissait de jour en jour. Il valait mieux, pensait-il, sacrifier quelquefois des projets utiles au public, que de laisser toujours prévaloir les avis de Thémistocle, et de prêter les mains à ses projets ambitieux. Il alla même une fois jusqu’à attaquer une proposition tout à l’avantage de la république, parce qu’elle venait de Thémistocle : il la fit échouer ; mais, en sortant de l’assemblée, il ne put s’empêcher de dire qu’il n’y aurait de salut pour les affaires d’Athènes qu’en faisant jeter Thémistocle et lui au fond du Barathre[1].

Dans une autre occasion, il avait proposé au peuple un décret qui éprouva beaucoup de contradictions ; il triompha des résistances : le président de l’assemblée allait recueillir les suffrages ; mais Aristide avait été éclairé par la discussion sur les inconvénients de son décret : il le retira. Souvent aussi il faisait présenter ses vues par d’autres, afin que la jalousie de Thémistocle ne mît pas d’obstacle à l’accomplissement du bien. Il montrait une fermeté admirable au milieu des vicissitudes de la vie politique : jamais il ne s’enfla des honneurs qu’on lui décernait ; et c’est avec autant de douceur que d’égalité d’âme qu’il sut toujours se résigner à ses déconvenues, persuadé qu’on doit se livrer tout entier à la patrie, sans songer, je ne dis pas à s’enrichir, mais même à acquérir de la gloire. Aussi, comme on entendit

  1. Fosse profonde où l’on précipitait les criminels.