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comme dit Euripide[1]. Celui qui tombe ainsi, sa mort n’a rien de passif, c’est une action. Et puis, outre la colère qui l’animait, Pélopidas ne voyait le but de la victoire que dans la chute du tyran : ce n’est donc point sans raison qu’il se laissa emporter à son ardeur ; et il serait difficile de trouver un plus bel exemple et plus brillant de valeur militaire.

Marcellus, au contraire, sans nécessité urgente, sans cet enthousiasme qui, au milieu des dangers, enlève parfois la réflexion, se jeta inconsidérément dans le péril ; et il tomba, non comme un général, mais comme un coureur d’avant-poste, comme un enfant perdu, laissant ses cinq consulats, ses trois triomphes, les dépouilles, les trophées pris sur des rois, aux mains de quelques Ibériens et Numides qui avaient vendu leur mort aux Carthaginois. Aussi se reprochèrent-ils eux-mêmes leur succès, en voyant l’homme le plus vaillant des Romains, le plus considéré, le plus illustre, tombé sous leurs coups au milieu de Frégellans qui allaient à la découverte.

Qu’on n’aille point prendre mes paroles pour une accusation contre ces héros : ce n’est que le sentiment, l’expression franche d’une indignation en leur faveur, contre eux, contre cette valeur à laquelle ils ont sacrifié toutes leurs autres vertus, en prodiguant leur vie et leur âme, comme si c’était à eux seuls que les enlevait la mort, et non point à leur patrie, à leurs amis, à leurs alliés.

Pélopidas mourut pour ses alliés, ses alliés l’ensevelirent ; Marcellus fut enseveli par les ennemis qui l’avaient tué. Le sort de l’un est heureux et digne d’envie ; il y a dans celui de l’autre quelque chose de supérieur et de plus grand : d’un côté c’est l’affection qui s’acquitte

  1. Fragment d’une tragédie perdue.