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jamais de bataille ; Marcellus remporta plus de victoires qu’aucun général romain de son temps : un général si difficile à vaincre, égale bien, semblera-t-il, par le nombre de ses succès, celui qui est demeuré invincible. L’un a pris Syracuse, l’autre a manqué Sparte ; mais s’il est beau d’avoir conquis la Sicile, il est aussi plus beau, à mon avis, de s’être avancé jusqu’à Sparte, d’avoir fait ce que jamais homme n’avait fait, d’avoir en ennemi traversé l’Eurotas ; à moins sans doute qu’on ne prétende que ce fait, comme la journée de Leuctres, appartient plutôt à Épaminondas qu’à Pélopidas, tandis que Marcellus n’a partagé avec personne la gloire de ses actions. Seul il prit Syracuse ; sans son collègue il mit en fuite les Celtes ; sans que personne le secondât, quand tout le monde voulait l’en détourner, il présenta la bataille à Annibal, et changea la face de la guerre : il fut le premier général qui rendit aux Romains leur ancienne audace.

Je ne puis donner d’éloges ni à la mort de l’un ni à celle de l’autre ; je m’afflige, je m’indigne d’une fin aussi extraordinaire. Et je m’étonne qu’Annibal, qui livra tant de combats qu’on se lasserait à les compter, n’ait jamais reçu une blessure ; et j’admire, dans la Cyropédie, Chrysanas qui, l’épée haute, tout près de frapper un ennemi, entend sonner la retraite, le laisse aller, et se retire avec douceur n’écoutant que la discipline[1]. Toutefois, la mort de Pélopidas paraît excusable : il était échauffé par l’ardeur du combat, emporté par un noble désir de vengeance.

C’est chance toute heureuse, pour le général, de vaincre et conserver ses jours ; non moins heureuse aussi de mourir, quand il a remis sa vie aux mains de la vertu,

  1. Au commencement du livre quatrième de l’ouvrage de Xénophon.