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naient le dos, et se mettaient à fuir en criant : « C’est encore quelque machine qu’Archimède pousse contre nous ! » Ce que voyant, Marcellus renonça à tous les combats, à tous les assauts, et résolut d’attendre du temps l’issue du siège.

Telle était la grandeur d’âme d’Archimède, la profondeur de son génie, le trésor inépuisable de sa science, qu’il ne voulut laisser aucun écrit sur ce qui a fait sa célébrité, ce qui l’a fait regarder comme doué d’une intelligence surhumaine et presque divine. La construction des machines, tout l’art qui sert aux besoins de la vie, n’étaient pour lui que choses sans noblesse et vils métiers. Il mit toute son ambition à l’étude des objets dont la beauté et l’excellence ne sont mêlées d’aucune nécessité, et avec lesquels on ne peut en comparer nul autre : sciences où la démonstration dispute de prix avec le sujet, celui-ci fournissant la grandeur et la beauté, celle-là l’exactitude et la puissance qui opère les merveilles. Il n’est pas possible de trouver dans la géométrie des propositions plus difficiles, exposées suivant des principes plus simples et plus clairs, que celles qu’a traitées Archimède. C’est ce que l’on attribue à la facilité naturelle de son esprit ; d’autres pensent que tout ce qui a cet air d’aisance et de facilité lui a coûté beaucoup de travail et d’efforts. Une démonstration que l’on aurait cherchée sans la trouver, à mesure qu’on l’apprend dans ses écrits, on se persuade qu’on l’aurait soi-même trouvée, tant il conduit à la demonstration par une route unie et rapide. Il n’y a donc point de motif pour ne pas croire à ce qu’on a écrit de lui, qu’il vivait enchanté par une sorte de sirène domestique, son inséparable compagne, oubliant le boire et le manger, et négligeant le soin de son corps. Souvent, entraîné malgré lui au bain et dans l’étuve, il traçait, sur la cendre du foyer, des figures de géométrie, et, sur ses membres frottés d’huile, il tirait des lignes avec son