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qui y avait fait envoyer une armée romaine sous la conduite du préteur Appius. Quand Marcellus arriva pour prendre le commandement de cette armée, une foule de Romains vinrent se jeter à ses pieds ; voici quelle était leur triste position : entre les hommes qui s’étaient trouvés en bataille contre Annibal, dans les plaines de Cannes, il y en avait qui lui avaient échappé par la fuite, et d’autres qui avaient été faits prisonniers ; et le nombre en était si grand, qu’il semblait que Rome ne dût plus avoir assez de troupes pour garder ses remparts. Il restait toutefois aux Romains tant de confiance en eux-mêmes, et une telle grandeur d’âme, qu’Annibal ayant offert de rendre les prisonniers pour une faible rançon, ils n’acceptèrent point la proposition : ils la rejetèrent en assemblée générale, déclarant que peu leur importait qu’il tuât les uns, et vendît les autres hors de l’Italie. Ceux qui avaient échappé par la fuite, on les fit passer tous sans distinction en Sicile, avec défense de remettre le pied en Italie, tant qu’on serait en guerre avec Annibal. Ces hommes, aussitôt que Marcellus arriva, accoururent à lui, en foule ; et, se jetant à ses pieds, le priant de leur donner rang dans un corps qui ne fût point noté d’infamie, ils criaient, ils pleuraient, ils juraient de prouver par leurs actions que l’on ne devait attribuer leur fuite à Cannes qu’au manque de bonheur et non de courage. Marcellus eut pitié d’eux, et il demanda au Sénat l’autorisation de remplir à mesure, avec ces hommes, les vides qui se feraient dans ses cadres. Après une longue discussion, le Sénat décréta que Rome n’avait nul besoin, pour les affaires de l’État, d’hommes déshonorés par leur lâcheté ; que si Marcellus voulait néanmoins les employer, ils ne pourraient obtenir de leur chef aucune des couronnes ou des récompenses décernées, suivant la coutume, au courage. Ce décret contraria Marcellus ; et, lorsqu’il revint à Rome après la guerre de Sicile, il se plaignit de