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trirèmes, un ambassadeur pour Andromachus. Après avoir fait à celui-ci un long discours, et lui avoir commandé insolemment, et en vrai barbare, de chasser au plus vite les Corinthiens, l’ambassadeur finit par lui montrer le dedans de sa main tout ouverte ; ensuite, la renversant, il le menaça de renverser sa ville comme il venait de retourner sa main. Andromachus se mit à rire ; et, répétant le même geste qu’avait fait l’ambassadeur, il lui dit, pour toute réponse : « Pars, si tu ne veux voir ta galère renversée comme j’ai moi-même retourné ma main. »

Cependant Icétas avait appris la traversée de Timoléon, et, dans son effroi, il avait fait venir à son secours un grand nombre de trirèmes carthaginoises. Les Syracusains désespérèrent alors de leur salut : ils voyaient le port occupé par les Carthaginois, Icétas maître de la ville, Denys de la citadelle, tandis que Timoléon, au contraire, ne tenait encore à la Sicile que par la petite ville de Tauroménium, comme par une mince lisière, et n’avait que de faibles espérances et des ressources très-bornées ; en effet, il n’avait avec lui que mille soldats, ni plus ni moins, et tout juste les provisions nécessaires. D’ailleurs, nulle confiance de la part des villes : tous les chefs d’armées leur étaient odieux, à raison surtout de la perfidie de Callippus et de Pharax[1]. C’était un Athénien et un Spartiate, qui étaient venus l’un et l’autre soi-disant pour affranchir la Sicile et exterminer les tyrans, et qui réduisirent les Siciliens à regarder comme un âge d’or le temps où ils gémissaient sous la tyrannie, et à préférer le sort de ceux qui avaient péri dans la servitude au bonheur de ceux qui avaient vécu sous la liberté. Persuadés que le Corinthien ne serait pas meilleur que ceux qui l’avaient précédé, et qu’il ne venait, comme eux, les séduire et les amorcer par de belles es-

  1. Voyez la Vie de Dion dans le quatrième volume.