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l’appartement de sa femme, prit son fils, encore enfant, et qui se distinguait entre tous ceux de son âge par la vigueur et la beauté, et le remit entre les mains de Pélopidas, en disant que s’il reconnaissait le père capable de mauvaise foi et de trahison, il pouvait traiter le fils en ennemi public et sans aucune pitié. Plusieurs versèrent des larmes à la vue de l’inquiétude et de la grandeur d’âme de Charon ; mais tous le blâmèrent d’avoir pu penser qu’il se trouvât parmi eux un homme assez lâche, assez aveuglé par le danger qui les menaçait, pour l’accuser, pour concevoir même un soupçon ; et ils le prièrent de ne point mêler cet enfant à leurs périls, mais de le mettre à l’abri des événements : « Qu’il vive, dirent-ils ; qu’il échappe aux mains des tyrans ; qu’il grandisse pour être, au besoin, le vengeur de sa patrie et de ses amis. — Non, je n’éloignerai point mon fils, repartit Charon ; quelle vie plus belle ou quel salut plus glorieux pour lui que de périr pur et sans tache, avec sa patrie, avec de tels amis ! » Il adressa aux dieux sa prière, et salua les assistants, en leur recommandant d’avoir confiance dans le succès ; puis il s’en alla, s’étudiant à composer sa contenance, son visage, le ton de sa voix, et à se donner un air tout opposé à ce qui se passait en lui réellement. Lorsqu’il arriva à la porte de la maison du festin, il vit venir à lui Philidas[1] et Archias qui lui dirent : « Charon, on nous apprend que des gens sont venus en secret, qu’ils se cachent dans la ville, et que quelques citoyens agissent de concert avec eux. » Charon se sentit tout troublé d’abord ; il répondit ensuite par cette question : « Quels sont ces gens venus secrètement et ceux qui les cachent ? »

  1. Peut-être faut-il lire Philippe, au lieu de Philidas, car Plutarque lui-même, dans le traité du démon de Socrate, dit que ceux qui sortirent étaient Archias et Philippe.