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de cœur, et tint sa maison prête pour les recevoir. Il y avait parmi les conjurés un certain Hipposthénidas, d’ailleurs bon citoyen, et qui aimait sa patrie et portait intérêt aux exilés ; mais cet homme manquait du courage qu’exigeaient un pareil moment et des circonstances aussi critiques. La grandeur de l’entreprise, qui touchait au moment de l’exécution, lui causa une sorte de vertige et lui fit perdre la tête. Il ne sait plus voir qu’une chose, c’est qu’on va heurter de front, pour ainsi dire, l’empire des Lacédémoniens ; c’est qu’on entreprend de briser leurs forces, et sans autres moyens que les espérances téméraires de quelques exilés manquant de ressources. Il se retire chez lui sans autrement parler, et envoie un de ses amis vers Mélon et Pélopidas, pour les engager à remettre l’exécution à un autre jour, et à retourner à Athènes en attendant une occasion meilleure. Celui qu’il envoya s’appelait Chlidon. Le messager court en hâte à sa demeure ; il sort son cheval de l’écurie, et demande la bride à sa femme. Celle-ci, ne pouvant la lui donner, et ne sachant comment se tirer d’embarras, lui dit qu’elle l’avait prêtée à quelqu’un de leurs amis. De là des reproches, des injures ; et dans la dispute la femme lui souhaita un voyage malheureux pour lui et pour ceux qui l’envoyaient. Chlidon perdit ainsi une partie de la journée ; alors, par colère encore, et aussi parce qu’il augurait mal de ce qui venait de lui arriver, il renonça à son voyage, et s’occupa d’autre chose. Voilà comment il s’en fallut bien peu qu’une entreprise importante et si belle fût rompue à peine commencée.

Cependant Pélopidas et les siens changent de costume, prennent des vêtements de campagnards, et se dispersent pour entrer dans la ville par différents points. Il était encore jour ; mais il faisait du vent, il neigeait, l’atmosphère commençait à changer, et le mauvais temps avait fait rentrer déjà la plupart des habitants chez eux :