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tué le jour où il tramait contre elle un dessein pernicieux, et où il s’apprêtait à l’asservir. » Mais il en est qui ne supportent pas de vivre dans une démocratie, et qui sont habitués à faire la cour aux grands : ceux-là, tout en ayant l’air de se réjouir de la mort du tyran, décriaient Timoléon, et taxaient sa conduite d’impiété, de monstrueux sacrilège. Ces reproches le jetèrent dans une sombre tristesse. Puis il apprit que sa mère, elle aussi, outrée de ressentiment, éclatait contre lui en cris de désespoir, en malédictions horribles : il alla pour la voir et la consoler ; mais elle ne put se résoudre à le voir en face ; elle lui ferma sa demeure. À ce coup, Timoléon se sentit accablé par la douleur ; sa raison se troubla, et il résolut de se laisser mourir de faim. Ses amis ne l’abandonnèrent pas à ses pensées : pressantes prières, violence même, ils mirent tout en usage ; et Timoléon consentit à vivre, mais seul et dans la retraite. Il quitta entièrement les affaires publiques ; et, dans les premiers temps, il ne venait pas même à la ville : il passait ses jours en proie à son chagrin, et errant à travers les campagnes les plus solitaires.

Voilà un exemple des secousses et des bouleversements auxquels sont trop aisément sujettes, au contact des louanges ou des reproches du vulgaire, les opinions qui ne puisent point dans la raison et dans la philosophie la constance et la force qu’exigent nos entreprises : elles vacillent, et n’ont plus de convictions où se prendre. En effet, il ne suffit pas que l’action soit belle et juste, il faut aussi que la pensée qui la détermine soit ferme et invariable ; il faut n’agir qu’après mûr examen : n’imitons pas les gourmands, qui se jettent, d’un appétit fougueux, sur les mets les plus succulents, et bientôt se rebutent rassasiés ; gardons-nous de nous arrêter découragés après l’accomplissement de nos entreprises, parce que nous aurons vu se flétrir l’image de beauté qui nous y avait