Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/9

Cette page a été validée par deux contributeurs.

des écoles des rhéteurs ? Rien n’est moins sophistique, rien n’est moins d’un rhéteur, que l’exécution de ce plan ; et le lecteur est entraîné, bon gré mal gré, par le charme étrange répandu non pas dans les récits seulement, mais dans les comparaisons mêmes, où deux héros, un Grec et un Romain, sont rapprochés trait pour trait, confrontés en vertu d’un principe uniforme, et pesés au même poids.

Je lis partout ces mots : le bon Plutarque. Mais cette épithète ne convient qu’au Plutarque français d’Amyot ; non point même proprement, mais par l’effet de l’illusion de naïveté et de bonhomie que font sur nous cette langue et ce style, vieux de trois siècles. Plutarque est un homme de bonne foi, mais non pas un bonhomme ; c’est le Montaigne des Grecs, comme le caractérise excellemment Thomas. Il n’est pas même vrai, quoi qu’en dise Thomas dans ses réserves, que Plutarque n’ait rien de cette manière vive et hardie de peindre les idées, de cette imagination de style, qui donnent tant de prix aux Essais. Sans élever, sur ce point, Plutarque à la hauteur de Montaigne, on ne peut s’empêcher de réclamer, avec un critique célèbre, contre une manifeste injustice.

« Quels plus grands tableaux, dit M. Villemain, quelles peintures plus animées… que les adieux de Brutus et de Porcie, que le triomphe de Paul-Émile, que la navigation de Cléopâtre sur le Cydnus, que le spectacle si vivement décrit de cette même Cléopâtre, penchée sur la fenêtre de la tour inaccessible où elle s’est réfugiée, et s’efforçant de hisser et d’attirer vers elle Antoine, vaincu et blessé, qu’elle attend pour mourir ! Combien d’autres descriptions d’une admirable énergie ! Et à côté de ces brillantes images, quelle naïveté de détails vrais, intimes, qui prennent l’homme sur le fait, et le peignent dans toute sa profondeur, en le montrant avec toutes ses petitesses ! Peut-être ce dernier mérite, universellement reconnu dans Plutarque, a-t-il fait oublier en lui l’éclat du style et le génie pittoresque ; mais c’est ce double caractère d’éloquence et de vérité qui l’a rendu si puissant sur toutes les imaginations vives. En faut-il un autre exemple que Shakes-