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tenant le palais appelé Régia et le temple de Vesta.

On se préparait à recommencer le combat ; mais tout s’arrête en présence d’un spectacle étrange, et que les paroles ne sauraient dépeindre. Les Sabines qui avaient été enlevées accourent de tous côtés, en jetant des cris de douleur et d’alarme ; et, poussées par une sorte de fureur divine, elles se précipitent au travers des armes et des morts, se présentent à leurs maris et à leurs pères, les unes avec leurs enfants dans les bras, les autres les cheveux épars, mais toutes adressant tantôt aux Sabins, tantôt aux Romains, les noms les plus chers. Romains et Sabins se sentirent attendris, et leur firent place entre les deux armées. Leurs clameurs lamentables percèrent jusqu’aux derniers rangs ; et leur aspect remplit tous les cœurs d’un sentiment de pitié, qui devint plus vif encore lorsque, après des remontrances à la fois libres et justes, elles finirent par les supplications les plus pressantes : « Qu’avons-nous fait ? dirent-elles, et par quel crime, par quelle offense avons-nous mérité et les maux affreux que nous avons déjà soufferts, et ceux que vous nous faites souffrir encore ? Ravies de force, et contre toute loi, par les hommes à qui nous appartenons maintenant, nos frères, nos pères et nos proches n’ont plus songé à nous, jusqu’au jour où le temps a fini par nous rendre chers ces Romains qui étaient l’objet de toute notre haine, et par nous contraindre à trembler en voyant combattre, à pleurer en voyant mourir, ceux qui nous ont fait subir leur violence et leur injustice. Vous n’êtes pas venus nous venger de nos oppresseurs alors que nous étions vierges ; et vous venez aujourd’hui arracher des femmes à leurs maris, des mères à leurs enfants ! Infortunées ! cet abandon et cet oubli furent moins déplorables pour nous que vos secours ne le sont aujourd’hui. Voilà les marques de tendresse que nous avons reçues de nos ennemis ; voilà les marques de pitié que vous nous avez données ! Si quelque autre motif vous avait mis les