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qu’il agissait moins par intérêt que pour insulter les pauvres, et pour les traiter avec mépris. Antipater[1] écrit, dans une lettre sur la mort d’Aristote : « À tant d’autres talents, il joignait celui de gagner les cœurs. » Faute de ce talent, les belles actions et les vertus de Marcius furent insupportables à ceux-là même qui en recueillaient les fruits : ils ne pouvaient souffrir ni son orgueil ni son opiniâtreté, cette compagne de la solitude, comme s’exprime Platon[2]. Au contraire, Alcibiade savait accueillir avec grâce tous ceux qui avaient affaire à lui. Rien d’étonnant dès lors que ses succès lui aient valu tant de gloire : leur éclat était encore accru de la bienveillance et de la faveur générales. Souvent ses fautes mêmes étaient gracieusement reçues, et passaient pour des jeux d’esprit. Aussi, malgré tout le mal qu’il avait fait à sa patrie, fut-il plusieurs fois nommé général et mis à la tête des forces militaires, au lieu que les Romains refusèrent le consulat à Marcius, malgré tous ses exploits et ses actes de bravoure. À tel point que l’un ne put être haï de ses concitoyens, à qui il avait fait tant de mal ; et que l’autre, justement admiré pour sa vertu, ne sut jamais se faire aimer des siens.

Comme général, Marcius ne fit rien d’important pour Rome, mais beaucoup pour les ennemis contre sa patrie. Alcibiade, et comme soldat et comme chef d’armée, rendit de grands services aux Athéniens. Présent, il triomphait aisément de ses ennemis ; et la calomnie n’avait de force contre lui qu’en son absence. Marcius était présent lorsque les Romains le condamnèrent ; et ce fut au milieu de leur assemblée que les Volsques le massacrèrent : meurtre inique, certainement, et impie ; mais enfin Marcius avait fourni un prétexte à leur vengeance, quand, après avoir refusé publiquement la paix aux députés de Rome, il s’était laissé fléchir par des

  1. Le fameux général macédonien.
  2. Plutarque a déjà cité ce mot dans la Vie de Coriolan.