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rance[1] ? » En disant ces mots, elle se précipite à ses pieds, avec sa femme et ses enfants. « Que fais-tu, ma mère ! » s’écrie Marcius. Il la relève ; et, lui serrant vivement la main : « Tu as emporté, dit-il, une victoire heureuse pour la patrie, mais funeste pour moi. Je me retire, vaincu par toi seule. »

Il parla ensuite quelque temps en particulier avec sa mère et sa femme ; puis il les renvoya à Rome, sur leur demande. Le lendemain, dès la pointe du jour, il ramena les Volsques dans leur pays. Tous les Volsques ne virent pas du même œil ce qui s’était passé. Les uns blâmaient Marcius, et improuvaient sa conduite ; mais d’autres pensaient tout autrement, et voyaient avec joie la guerre terminée. Quelques-uns, tout mécontents qu’ils fussent de la paix, n’en avaient pas plus mauvaise opinion de Marcius ; et ils le trouvaient bien pardonnable de s’être laissé fléchir par de si puissantes nécessités. Mais personne ne résista à l’ordre du départ : tous suivirent le chef, bien plus encore par admiration pour sa vertu, que par déférence pour son autorité.

Délivré du péril, le peuple romain laissa mieux paraître encore toute la crainte que lui avait fait éprouver cette guerre. À peine ceux qui gardaient les murailles eurent-ils aperçu décamper les Volsques, tous les temples furent ouverts : on portait des couronnes de fleurs, et on immolait des victimes, comme s’il se fût agi d’une victoire. La joie publique éclata surtout dans les témoignages d’honneur et de reconnaissance que le sénat et le peuple prodiguèrent aux femmes romaines. Ils reconnaissaient, ils déclaraient que c’était à elles qu’on devait manifestement le salut de Rome. Le sénat ordonna aux consuls de leur accorder, pour prix d’un tel service, toutes les prérogatives et toutes les récompenses qu’elles désireraient. Elles ne demandèrent

  1. C’est-à-dire : « Pourquoi hésiterai-je à me tuer, afin de faire sur toi, par ma mort, l’impression que je n’ai pu faire par mes prières ? »