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bandonne au sentiment de la nature, comme à un torrent qu’il ne saurait contenir. Quand il eut rassasié sa tendresse, et qu’il s’aperçut que sa mère voulait parler, il prit avec lui les Volsques du conseil, et il écouta Volumnie, qui lui tint à peu près ce discours : « Tu vois, ô mon fils ! même sans que nous ayons besoin de te le dire, à notre habillement et à l’état de nos corps exténués, quelle vie solitaire et triste nous avons menée depuis ton exil. Songe maintenant que tu as devant toi les plus malheureuses de toutes les femmes ; car ce qui nous était le plus doux spectacle, la Fortune nous l’a rendu le plus terrible, en nous montrant, à moi mon fils, et à elle son époux, assiégeant les murs de sa patrie. Et, ce qui est pour les autres une consolation puissante dans toute infortune et dans tout mauvais succès, à savoir d’adresser aux dieux leurs prières, cela même est devenu pour nous une cause de perplexités cruelles ; car nous ne pouvons demander aux dieux tout à la fois et la victoire pour Rome, et ta propre conservation : toutes les malédictions qu’un ennemi pourrait prononcer contre nous sont renfermées dans nos prières. C’est une nécessité, pour ta femme et tes enfants, d’être privés ou de leur patrie ou de toi ; quant à moi, je n’attendrai pas que la Fortune décide, moi vivante, de l’événement de cette guerre. Si je ne te puis persuader de faire cesser tant de maux en nous rendant la paix et la concorde, et d’être le bienfaiteur des deux peuples plutôt que le fléau de l’un d’entre eux, tu n’approcheras de Rome, sache-le bien et prépares-y ton courage, qu’après avoir passé sur le corps de celle qui t’a mis au monde ; car je ne dois pas attendre ce jour où je verrais les Romains triompher de mon fils, ou mon fils triompher de sa patrie. Te demander de sauver Rome en perdant les Volsques, ce serait te proposer une pénible et embarrassante alternative : il n’est ni honnête de détruire ses concitoyens, ni juste de trahir