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devoir de le faire cesser, et on se borna à des injures et à des malédictions, contre l’auteur de ce châtiment atroce. Car les Romains traitaient alors leurs esclaves avec beaucoup de douceur. Partageant leurs travaux, et vivant habituellement avec eux, les maîtres devaient, en effet, avoir pour eux plus de bonté et plus d’attachement que depuis. C’était un grand châtiment, à un esclave qui avait commis une faute, que de lui faire porter un de ces bois fourchus qui servent d’appui au timon du chariot, et de le promener ainsi dans le voisinage. L’esclave qui avait subi cette punition, et que ses camarades et ses voisins avaient vu en cet état, perdait toute confiance. On l’appelait furcifer[1] ; car ce qu’on nomme étai en Grèce, les Romains l’appellent furca.

Lors donc que Latinus eut rendu compte au sénat de sa vision, on chercha quel pouvait être ce mauvais danseur qui avait marche en tête de la procession, et qui avait tant déplu à Jupiter. Quelques-uns se rappelèrent, vu l’étrangeté du supplice, cet esclave qui avait été battu de verges au travers de la place publique, et ensuite puni de mort. Les prêtres furent d’accord que c’était là le danseur dont il s’agissait. Le maître fut condamné à l’amende ; et l’on recommença tout de nouveau, à l’honneur du dieu, les jeux et la procession. On voit, par cet exemple, combien Numa avait réglé sagement toutes ses institutions religieuses. Rien de beau surtout comme cette ordonnance qui prescrit, quand les magistrats ou les prêtres sont occupés au culte divin, qu’un héraut s’avance, et qu’il crie à haute voix : Hoc age ! expression qui signifie : Fais cela. C’est les avertir de donner toute leur attention à la cérémonie, et de n’être distraits par aucune occupation, aucun soin étranger. Car, pensait Numa, presque toutes les actions humaines n’ont pour mobile, en quelque sorte, que la force et la

  1. C’est-à-dire porte-fourche, mot qui équivalait, dans la langue latine, à notre mot pendard. On le trouve fréquemment dans les poëtes comiques.